En excluant l’usage d’armes à feu, les créateurs de 11-11 : Memories Retold livrent une œuvre pacifiste qui tranche avec les jeux de guerre classiques.
Un jeu vidéo sur la Première Guerre mondiale, qu’il est possible de terminer sans tirer un seul coup de feu ? C’est le pari gagnant qu’a relevé Yoan Fanise, son créateur : « On s’est très vite rendu compte qu’il fallait bannir l’arme si l’on voulait proposer une nouvelle façon de jouer aux jeux vidéo. Bien souvent, dès qu’un fusil est donné, cela amène tout de suite à un jeu d’adresse, où il faut viser et tirer. Nous avons voulu aller à l’encontre de cet appel », raconte le cofondateur du studio DigixArt, basé à Montpellier.
Dans 11-11 : Memories Retold, le joueur incarne ainsi deux personnages non combattants et bien souvent spectateurs des affrontements. Harry, jeune photographe canadien, est chargé de rapporter des clichés vantant le moral des troupes parties au front. Plus âgé, Kurt est un ingénieur allemand qui s’est engagé pour retrouver son fils disparu dans les tranchées. Au-delà des tâches qui leur sont confiées à chacun leur tour, le jeu vaut surtout pour la qualité de sa narration et sa peinture mélancolique et hallucinée de la guerre.
L’illusion de regarder la guerre en ayant les yeux couverts de larmes
« Il était très important pour nous de traduire graphiquement l’absurdité totale de ce conflit. C’est ce qui nous a amenés, en partenariat avec les Anglais d’Aardman Animations, à faire un jeu qui veut ressembler à une toile impressionniste en mouvement pour faire ressentir une forme de folie et des émotions très fortes », poursuit Yoan Fanise. Ce choix artistique fonctionne aussi bien lors des scènes d’assaut, dans des tranchées gazées, dans un no man’s land de barbelés et de coquelicots, dans une église en flammes que pour les scènes loin du champ des opérations. Le calme d’une ferme allemande où Harry se retrouve prisonnier, tout comme les festivités parisiennes découvertes lors d’une permission semblent aussi irréels que la ligne de front, à force de décalage douloureux. Le pointillisme animé du jeu donne même l’illusion de regarder la guerre en ayant les yeux couverts de larmes.
Privé d’arme, le joueur se focalise sur les dialogues à choisir, l’exploration et les scènes de vie quotidiennes, qu’il soit dans la Somme, sur la crête de Vimy, à Ypres ou Passchendaele. « On a voulu mettre l’humain au cœur du jeu. Quand j’étais enfant, je ne m’intéressais pas du tout à l’histoire de la Grande Guerre. Les dates de batailles et les statistiques me laissaient indifférent. C’est en tombant sur les lettres de mon arrière-grand-père poilu à mon arrière-grand-mère que je m’en suis voulu d’être passé à côté de quelque chose d’aussi passionnant », se souvient le réalisateur. S’il considère que son jeu est loin d’être un outil pédagogique, il explique que 11-11 : Memories Retold est né d’une volonté de « transmettre l’histoire de manière plus interactive, pour donner envie aux jeunes d’être curieux ».
Le jeu se concentre sur la nature dévastée, le froid, la faim, l’alcool, l’ennui et l’angoisse, mais aussi sur les parties de cartes, les éclats de rire, la solidarité entre les hommes et la correspondance avec les familles. Un va-et-vient constant entre ce que vivent Harry, de plus en plus sceptique sur son rôle de photographe, et Kurt qui, durant son enquête, ira jusqu’à ouvrir des tombes pour retrouver son fils. « On voulait vraiment montrer que les deux camps vivaient la même chose. C’est aussi pour cela que le joueur incarne parfois un chat et un pigeon dans le jeu. Les animaux vont et viennent des deux côtés du front. Partout, ils sont appréciés, les soldats les appellent et les caressent. Ils représentent quelque chose de pur et de réconfortant, loin de la folie des hommes », poursuit Yoan Fanise.
Projetés l’un vers l’autre, Kurt et Harry deviendront amis. Les choix du joueur scelleront ensuite une issue heureuse ou tragique à cette rencontre. « On voulait réaliser un jeu qui porte un message d’humanité et de paix pour le centenaire de l’armistice de 1918. Le jeu vidéo est très jeune. Il sort à peine de l’ère de l’amusement pur. Mais il peut et doit aujourd’hui se frotter à des sujets plus variés et profonds. Il représente pour nous une nouvelle manière, très immersive, de raconter une histoire, de faire surgir l’émotion et de s’interroger », conclut Yoan Fanise, qui, loin de toute boucherie, signe une œuvre délicate et intelligente.